Bela BARTOK
Musique pour cordes, percussion et célesta
Sz 106, BB 114
Grand Orchestre du Südwestfunk, Laszlo SOMOGYI
03.-07.12.1957, Baden-Baden
Ducretet-Thomson 260 C 099
En 1936, Bela Bartok compose - sur une commande de Paul Sacher, chef fondateur du Basler Kammerorchester, pour le 10e anniversaire de cet orchestre - un de ses chef-d'oeuvres emblématiques, sa Musique pour cordes, percussion et célesta, Sz. 106, BB 114. L'oeuvre est donnée en première audition le 21 janvier 1937, par son commanditaire.
Bela Bartok choisit une instrumentation inédite et fixe clairement son déploiement: deux orchestres à cordes antiphoniques, séparés par une harpe, un piano, un celesta, des timbales et plusieurs percussions jouées par un seul musicien. L'oeuvre est intitulée «Musique», car elle ne relève d'aucun genre existant. Son effectif instrumental est, également, des plus originaux qui soient: "[...] les cordes sont réparties en deux groupes comprenant le quintette complet (et placés à gauche et à droite du chef); les percussions comprennent: 2 petits tambours (avec et sans timbres), 2 sortes de cymbales, 1 tam-tam, 1 grosse caisse, des timbales mécaniques (permettant traits et glissandos); célesta, xylophone, harpe, piano (à deux et quatre mains).[...]"
Le premier mouvement - Andante tranquillo, les deux groupes de cordes unis - est une fugue calme et très complexe en forme de miroir, c'est à dire qu'au milieu de la pièce, la première moitié revient, mais à l'envers, avec le sujet en inversion:
"[...] d'entrée s'affirme un extrême souci d'équilibre. Aux premières mesures, exposition du thème principal commun aux quatre mouvements (les altos pianissimo avec sourdines). Il engendre une fugue lente qui utilisera les différents degrés chromatiques (sans référence aucune, toutefois, à la technique sérielle); première entrée du sujet contenant six notes de la gamme chromatique. Le thème s'enfle par entrées successives des voix (chacune dans l'ordre du cycle des quintes); il culmine sur la tonalité de mi bémol (à une quarte augmentée - le triton - du la de départ), et précisément à la section d'or du mouvement: intervention des cymbales. Redescente avec le sujet de fugue inversé (par renversement des intervalles); le mouvement s'achève sur des arpèges du célesta, tandis qu'on retrouve le ton initial de la dans le pianissimo. On s'est plu à comparer, non sans raison, cet Andante au double mouvement d'un éventail, déployé puis refermé. On ajoutera qu'il dégage une intense poésie, - ce que la brève analyse ci-dessus (qui s'imposait néanmoins) ne laissait pas prévoir.[...]"
À partir du deuxième mouvement - Allegro - les deux groupes de cordes sont séparés, il est écrit en forme sonate, et change de ton, énergie et exubérance le caractérisent:
"[...]allegro de sonate sur un thème vif à 2/4; le développement évolue d'ut à fa dièse (intervalle de triton),- suivant la même architecture que dans la fugue initiale (qui est reprise). Mouvement d'allure populaire et dansante, - dans lequel Bartok tire parti de son double orchestre à cordes en pizzicatos alternés, et exploite à merveille les effets percussifs du piano. Dans la réexposition conclusive, retour du motif initial: on passe du 2/4 à un 3/8 plus précis et plus serré.[...]"
Le mouvement lent - Adagio - commence - et se termine - par un bref dialogue entre le xylophone et les timbales:
"[...]il s'agit sans doute là d'une des pièces les plus extraordinaires de la musique contemporaine. A l'inverse du mouvement précédent, on évolue à présent de fa dièse vers ut. La construction «à l'écrevisse» fait passer, dans leur énoncé rétrograde, maintes réminiscences thématiques. Les différentes sections - A B C B A -, comparées par Olivier Messiaen à un pont qu'encadrent ses piliers symétriques, sont reliées entre elles par différents fragments du sujet de la fugue (en A, entièrement rythmique, de très remarquables glissandos de timbales; en B, une mélodie confiée aux violons sur le célesta; c'est un Martellato sur un rythme à cinq notes, qu'assurent tous les pupitres de l'orchestre). Mais l'essentielle qualité de ce mouvement réside dans la hardiesse de ses combinaisons sonores, - soit de la percussion avec les cordes en accords trilles (des «froissements de soie», selon Messiaen), soit dans l'assemblage inouï de la harpe, du piano et du célesta (glissandos en triples croches pianissimo). Crescendo vers le fortissimo (en ut), puis lent retour au «murmure» du début, sur un tintement fixe du xylophone [...]"
Le dernier mouvement - Allegro molto - "[...] est en forme de libre rondo, et totalement symétrique du premier mouvement [...]. Sur une mesure à 2/2, robuste et joyeuse musique de danse campagnarde. Le motif du refrain consiste en une présentation diatonique du thème fugué du mouvement initial. Le piano, toujours résolument percussif, intervient à plusieurs reprises (parfois à quatre mains). Gamme descendante conclusive.
«C'est peut-être ici que Bartok a donné la plus haute expression de son génie», a écrit Messiaen, - vantant non seulement toutes les nouveautés de l'instrumentation, de l'écriture rythmique et harmonique (les «mélanges du tonal, du modal, de l'atonal, de l'ultra-chromatique dans les retours cycliques du thème principal»), mais encore un art unique des glissements «vers la lumière et vers l'ombre», ainsi que du silence parmi les «fureurs tziganes».[...]
Les citations ci-dessus sont extraites du Guide de la musique symphonique réalisé sous la direction de François-René Tranchefort, Fayard 1986, ISBN 978-2-213-64075-4.